“A l’âge de l’électricité, où notre système nerveux central se prolonge technologiquement au point de nous engager vis-à-vis de l’ensemble de l’humanité et de nous l’associer, nous participons nécessairement et en profondeur aux conséquences de chacune de nos actions. Il ne nous est plus possible d’adopter l’attitude flegmatique et détachée de l’homme Occidental alphabétisé.”
A travers cette proposition, Djeff invite à explorer sa démarche dans une série de pièces choisies, retraçant sa réflexion, de l’univers du retrogaming à l’élaboration d’installations polymorphes plus complexes dont certaines inédites, et qui au fur et à mesure de l’avancement de son travail témoignent de ses recherches sur les limites de la spéculation que l’homme exerce sur son environnement et plus largement sur sa condition.
En s’ouvrant sur la pièce éponyme de l’exposition Now Here Else, sorte d’« alerte préalable », le ton est donné. Epris dans un système, les flux informationnels, technologiques, virtuels ou réels, sont devenus continus, comme un filet sur l’ensemble de notre monde. Les mots, à l’aléatoire de leur publication sur les réseaux, prennent la forme de briques et dévalent l’écran pour s’entasser, sans finalité de construction apparente. Et pourtant, il n’y a pas d’autre place où être – nowhere else…
Les pièces suivantes exhortent, elles aussi, ces paradoxes de l’ère anthropocène, engageant le visiteur, au fil du parcours, dans un balancier entre déplacement et arrêt sur images, physiques ou induits. Chez Djeff, le déplacement devient un potentiel graphique, le temps peut se figer grâce aux facs similés, le fragilité des bulles spéculatives côtoient celles de savon, la silhouette de l’homme nait du souffle de la machinisterie… Les associations d’images s’emplissent d’un haut potentiel symbolique et spirituel, sous des accents drôles mais de tributs à la règle de l’entropie.
Dans un langage plastique qui aime la confrontation des images emblématiques de la vie contemporaine, les interrogations de l’artiste cheminent entre la sophistication d’un monde manufacturé qui va (trop) vite et sa simplicité originelle dont la permanence et l’immuabilité sont désormais fortement remises en cause. A mesure des installations, se déroule le fil de pourquoi poétiques sur l’environnement, l’inconstance humaine, sa responsabilité, son empreinte écologique et décline une investigation qui dépasse la question environnementale pour explorer l’ambivalence constitutive de l’humain entre nature et culture, engager une réflexion sur l’être au monde contemporain et le devenir humain.
Recourant à des systèmes réflexifs et faisant souvent illusion d’une technicité pointue, Djeff met en scène ces oxymores qui emplissent notre quotidien. Les semblants de maitrises technologiques cohabitent avec la dépendance oubliée aux éléments naturels, synecdoque des ressources primaires. Les défilements interminables sont saisis jusqu’à devenir contemplatifs tels des traces de passages.
Pour autant, si chacune de ces pièces tend à questionner ce piège abscons des excès au bord de la rupture, leurs formes évitent toute dramaturgie pour privilégier l’angle d’une poétique visuelle porteuse d’une généreuse espérance et d’une hypothétique résistance.
Fanny Serain, Commissaire d’exposition
“A mesure que la prolifération de nos technologies créait toute une série de nouveaux milieux, les hommes se sont rendu compte que les arts sont des « contre-milieux » ou des antidotes qui nous donnent les moyens de percevoir le milieu lui-même.”
Marshall McLuhan, Introduction à la deuxième édition (1968) In Pour comprendre les médias.